Prise en charge de patients Covid-19, le témoignage d'un infirmier libéral

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Depuis quelques jours, Matthieu, IDEL à Paris prend en charge des patients atteints du covid-19 à domicile avec ses collègues de cabinet. Il nous raconte comment ils se sont préparés et comment se déroulent leurs tournées de soins au temps du Coronavirus.

Comment avez-vous été amenés à prendre en charge des patients atteints du covid-19 ?

La semaine dernière, jeudi, on a eu une demande d’un médecin pour une première perfusion d’un patient atteint du covid-19.

Pour être honnête, cela fait trois semaines qu’avec mes collègues - on est 7 dans le cabinet - on s’étaient préparés. Nous avons cherché du matériel auprès de notre réseau et aussi le plus d’information possible pour être prêts à aider les médecins en désengorgeant les hôpitaux quand cela arriverait.

Le lendemain, on nous a envoyé une autre patiente plus âgée avec des signes respiratoires plus lourds cette fois.

Aujourd’hui, nous avons 4 patients en suivi.

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La grande question en ce moment c’est le matériel de protection pour la médecine de ville. Pour le matériel, vous avez fait comment ?

Ce qui est clair, c’est que si nous n’avions pas eu ce matériel de protection, nous aurions décliné la prise en charge de patients atteints. On ne va pas chez les patients sans rien, c’est évident. 

Pour les masques, c’est une association de sans-papiers qui nous a donné beaucoup de masques FFP2. Il faut savoir que lors de leurs maraudes auprès des SDF, il existe un risque de tuberculose. Étant confinés, ils nous ont fait un don de masques après avoir vu l’un de mes appels sur le groupe Facebook de mon arrondissement parisien.

Via mon réseau personnel, une entreprise de désamiantage qui a fermé pour le confinement, nous a livré des surchaussures, des combinaisons de BTP, des lunettes de protection et un bon stock de masques. On a donc de quoi tenir un bon mois et on continue à faire des appels en attendant que les nouvelles dotations arrivent.

Côté médical, nous nous sommes fait livrer du matériel au cabinet avant la crise nous avions donc des stocks de gants et de manugel. Et fait très pratique, notre première patiente était ophtalmologue, elle avait donc déjà un tensiomètre chez elle.  

On arrive en cosmonaute chez les gens avec surblouse, surchaussures, lunettes et masques FFP2, ça fait un peu Breaking Bad…  

Comment gérez-vous vos tournées de soins ?

Nous avons déchargé au maximum nos tournées et par mesure d’hygiène, nous allons voir nos patients covid-19 en fin de tournée.

Les patients nécessitant un suivi de prise de médicament, nous les voyons uniquement une fois par semaine pour constituer leur pilulier. Pour tous nos patients chroniques, nous les avions pourvus de matériel pour prendre leur tension eux-mêmes. On avait prévu depuis trois semaines déjà. Nous ne faisons plus de toilettes et pas de prise de sang. Si nos patients ont un problème, ils nous appellent et on passe les voir.

Nous effectuons des passages chez les patients covid-19 et un télésuivi en fin de tournée pour prendre de leurs nouvelles et relever les données cliniques.

Fait nouveau, à Paris les laboratoires ne veulent plus se rendre au domicile des gens pour effectuer les prises de sang, ils renvoient donc les gens vers les infirmiers libéraux. C’est incroyable… 

Comment prenez-vous en charge ces patients spécifiques ?

Le plus long, c’est de s’habiller et de se déshabiller devant chez eux. On fonctionne comme en chambre d’isolement à l’hôpital. Ce qui rentre chez le patient ne doit pas en sortir. Ainsi, on a décidé de laisser des tensiomètres, des saturomètres et thermomètres chez ces patients atteints afin que le matériel reste chez eux.

Nous avons une ordonnance du médecin qui nous précise si l’on doit passer une ou deux fois par jour. Pour les patients où l’on recommande deux passages : nous faisons un passage en présentiel et un télésuivi par téléphone. Pour les autres, on passe en présentiel une fois par jour.

Notre rôle c’est aussi de surveiller la phase de rebond qui apparait entre le 6ème et le 10ème jour de la maladie. Il peut survenir déjà des symptômes respiratoires avant, donc on peut déjà avoir une surveillance au 2ème jour de symptômes par exemple, si le patient le nécessite. Mais vraiment, la tranche de jours à surveiller est du 6ème au 10ème jour. Quand on parle de 6 à 10 jours, c’est le 6ème jour du début des symptômes donc les signes sont mesurables à jour 0 également.

C’est 48h après la fin des symptômes qu’on arrête la prise en charge. On suit les recommandations de notre CPTS. A la fin de la prise en charge, on récupère alors tout le matériel laissé chez ces patients et on les désinfecte.

Comment faites-vous le télésuivi ?

Lors de notre premier passage, nous le faisons en présentiel. Les passages en présentiel, nous le cotons AMI 5.8. Nous amenons un tensiomètre et un saturomètre et nous apprenons aux patients à s’en servir.

Par téléphone, c’est AMI 3.2. On leur demande d’utiliser le matériel pour faire les mesures cliniques. A l’oreille, on se rend assez vite compte de la respiration de la personne. Certains cas font de la polypnée, ils sont en manque d’oxygène. Ils respirent donc très vite un peu comme un chien qui halète si l’on peut dire. Pour les patients dont l’état empire, on passe chez eux. Dans le pire des cas, on fait appel au 15 pour les hospitaliser.

Avez-vous déjà fait des téléconsultations avec un médecin ?

Non, nous n’en avons pas encore fait, mais la situation se présentera si on nous demande d’aller au chevet d’un patient qui n’a pas de smartphone ou de tablette. Il faudra faire l’appel pour eux, notamment s’ils ont le covid-19.

Tu es équipé comment toi ?

Pour ma part j’ai la chance d’avoir un FFP3 et 8 filtres. C’est un masque qui filtre les nanoparticules, il coûte 150€ environs. J’en porte un car je suis en scooter à Paris. Avec le reste du matériel qu’on a récupéré, je suis bien équipé. Maintenant mon souci est de protéger aussi mes collègues de cabinet.

Et côté famille, comment fais-tu ?

Je suis dans un cabinet de 7 infirmiers et nous avons plusieurs rythmes de tournées par jour. Nous répartissons notre planning en fonction de nos disponibilités. Ma femme est sage-femme, avec son cabinet fermé, elle fait bien sûr des monitorings à domicile, mais ses rendez-vous du cabinet se font à la maison en téléconsultation. Je précise d’ailleurs qu’elle n’a pas reçu de matériel de protection alors que pourtant, elle va chez les gens et elle peut passer 15 minutes à 10 centimètres des patientes…

Avec les roulements, quand elle travaille, je suis en pause et vice versa. On ne se voit jamais, mais on arrive à s’occuper de nos deux enfants de 8 et 11 ans. Quand on est en break, on s’alterne pour faire l’école à la maison. Bien sûr, il y a des imprévus, il peut nous arriver de laisser nos enfants seuls une heure ou deux. Après avoir rouspété auprès de l’école, si ma femme et moi sommes réquisitionnés, ils les prendront en charge, mais depuis quelques semaines il n’y avait pas de service minimum dans cette école privée.

Cela étant, il m’arrive de travailler alors que je ne suis pas sensé le faire, on a beaucoup d’appels comme des demandes de prise en charge type HAD en lendemain d’opération car ces patients mobilisent les hôpitaux… mais c’est comme ça. On se mobilise.  

Quel conseil as-tu à donner aux autres infirmiers libéraux qui ne sont pas encore en charge de suivis covid-19 ?

De s’équiper ! En ce moment il faut en profiter, il y a un réel élan de générosité. Les gens nous aident de partout. Pensez à aller sur les réseaux sociaux, parlez-en à votre entourage. Les futures dotations de l’état n’arriveront que dans une dizaine de jours, d’ici là, il faut se préparer au maximum. Et puis… s’équiper permet de réduire le stress. Dès que l’on touche quelque chose, on applique du gel hydroalcoolique. Si on ne trouve pas du matériel, on fait comme moi jeudi dernier : on met des sacs poubelle en surchaussures… des lunettes de soleil en plastique et après on jette tout. C’est système Mcgiver…

Il faut aussi s’informer ! Avec Mailiz notre messagerie, on reçoit les mails de l’ARS, de la CPAM, de l’Ordre des Infirmiers, notre URPS, on échange avec les professionnels de santé de notre CPTS qui est en train de se construire. L’idée c’est d’en savoir un maximum avant que l’on atteigne le pic de l'épidémie. Je fais partie du groupe IDEL face au Covid sur Facebook et je témoigne, l’idée c’est d’aider les autres infirmiers.

Il faut être prêts, unis entre collègues, entre soignants. L’heure est à la mutualisation et l’entraide entre cabinets infirmiers. Nous sommes 4 cabinets sur notre secteur et on va leur filer du matos...