"La Tournée" un documentaire sans filtre sur le quotidien d'une infirmière libérale

Le documentaire " La Tournée ", réalisé par Guillaume Vatan, plonge les spectateurs au cœur du quotidien d’Eurielle Soun-Fragol, infirmière libérale à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. À travers ce documentaire, diffusé en avant-première au cinéma Le Club 6, c’est tout un pan méconnu du système de santé qui est mis en lumière : celui des soins infirmiers à domicile. Dans un contexte de tension dans le secteur de la santé, ce documentaire met en valeur la réalité du terrain : les longues tournées, les liens avec les patients, la charge mentale, mais aussi l’humanité et la passion qui animent les professionnels libéraux.

Soins à domicile : plus qu'un métier, un engagement

Chaque jour, Eurielle parcourt les rues de son quartier pour assurer des soins de proximité : pansements, injections, suivi de pathologies chroniques ou accompagnement en fin de vie. Mais au-delà des actes techniques, ce que le documentaire révèle surtout, c’est la qualité du lien humain.

👉 L’infirmière libérale est souvent le seul contact quotidien de personnes âgées ou isolées. Elle devient confidente, repère de sécurité, témoin de la solitude ou du courage silencieux de ses patients.

Rencontre avec Guillaume Vatan

Guillaume Vatan : "J’ai réalisé de nombreux reportages dans le domaine scientifique, notamment pour le CNAM, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. J’ai travaillé avec des chercheurs et des professeurs d’université, ce qui m’a permis d’explorer en profondeur cet univers. Ainsi, je suis aussi metteur en scène de théâtre dont une pièce de théâtre sur les violences conjugales. La représentation de la femme est au coeur de mon travail artistique."

💡 Genèse du documentaire

Comment est née l'idée de "La Tournée" ? Pourquoi avoir choisi de suivre une infirmière libérale ?

L’idée du documentaire sur une infirmière libérale vient d’une histoire personnelle. Il y a près de 18 ans, je passais beaucoup de temps avec ma cousine, infirmière en réanimation pédiatrique de nuit. C’est un service extrêmement éprouvant, émotionnellement, très dur, comparable à ce qu’on pourrait vivre dans des zones de guerre. Cette expérience m’a profondément marqué et a semé la graine de ce projet.

J’étais jeune à l’époque, dans les 26-27 ans, et je me retrouvais souvent avec elle et ses amies infirmières. Elles parlaient entre elles, très simplement, de la vie, de la mort, de la souffrance... des sujets qui faisaient partie de leur quotidien, alors que pour moi, c’était totalement étranger. Je travaillais dans l’audiovisuel, sur d’autres types de projets, loin de cette réalité.

Avec le recul, j’ai compris ce que je ressentais alors : elles avaient une forme de lucidité sur la vie que je n’avais pas. Une maturité impressionnante, presque dérangeante, mais profondément humaine. C’est cette expérience, ce décalage entre nos mondes, qui m’a donné envie un jour de raconter le leur. Et c’est ce chemin qui m’a menée à suivre une infirmière libérale.

Comment avez-vous rencontré Eurielle Soun-Fragol, l'infirmière libérale au cœur du documentaire ?

Après plusieurs années passées à réaliser d'autres documentaires, notamment scientifiques, l’envie de revenir à ce sujet m’est revenue il y a quatre ans. J’ai publié une annonce très large sur Facebook : « Recherche infirmière pour documentaire ». À ma surprise, la majorité des réponses venaient d’infirmières libérales. J’ai commencé à en rencontrer un grand nombre, à Blois, à Lyon, à Livry-Gargan… J’en ai aussi eu une quinzaine au téléphone. En parallèle, ma grand-mère était en fin de vie et suivie elle-même par une infirmière libérale, ce qui m’a permis d’observer de près ce métier à la fois profondément humain et très solitaire.

Ce métier m’a touché pour plusieurs raisons : leur rythme, leur autonomie, les dizaines de patients qu’elles voient chaque jour… mais aussi ce besoin de parler, de partager. Je me suis alors lancé dans ma recherche : non pas pour "choisir" une personne, mais pour trouver quelqu’un avec qui un lien naturel, presque évident, pouvait se créer.

Et c’est en Bretagne, lors d’une résidence d’écriture pour un autre projet, qu’une autre autrice m’a parlé d’Eurielle. On s’est rencontrés, on a longuement échangé, elle m’a raconté son métier, et j’ai tout de suite senti que ce serait elle. Il y avait une intensité, une sensibilité, et surtout une vraie envie de transmettre. Elle m’a montré son quotidien, ses patients, et le lien qu’elle entretient avec eux. C’est devenu une évidence.

🎬 Tournage et immersion

Comment s'est passée l'immersion dans son quotidien ?

L'immersion a été très intense, dès les premières minutes. J’ai passé deux jours avec Eurielle, et dès le départ, j’ai été frappée par son énergie. Elle m’a accueillie simplement, m’a ouvert la porte de sa voiture, et on est partis en tournée, comme si de rien n’était.

Rien n’était encore officiel à ce stade : je filmais un peu, dans l’idée de capter des impressions, en sachant que rien ne serait forcément utilisé. Pour moi, c’était une forme de repérage, mais aussi un engagement fort, car dans un documentaire, la question de l’image et de l’intimité est essentielle.

Physiquement, j’ai été rapidement dépassé : suivre Eurielle avec une caméra, monter et descendre des escaliers sans arrêt, sortir de la voiture des dizaines de fois par jour… J’étais épuisé. Elle, en revanche, avait une endurance impressionnante presque celle d’une athlète de haut niveau

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?

L’un des plus grands défis a été d’obtenir les autorisations de tournage de manière éthique, consciente et respectueuse. Il ne s’agissait pas simplement de faire signer un papier : je tenais à ce que chaque personne comprenne parfaitement le projet, donne son accord en toute connaissance de cause, et soit vraiment volontaire. C’était essentiel pour moi, notamment dans ce contexte très intime.

Le plus compliqué, c’est que tout devait aller très vite. Contrairement à un documentaire classique où on passe des heures ou des jours à établir une relation, là, j’avais parfois cinq minutes : cinq minutes pour expliquer le projet, me présenter, inspirer confiance et obtenir un accord pour tourner… Et dès le lendemain, selon l’organisation de l’infirmière, on revenait filmer. C’était à l’opposé de la démarche documentaire habituelle.

Autre difficulté : le rapport à l’intimité. On entre littéralement chez les gens, dans leur quotidien, parfois à des moments très vulnérables. Certains étaient méfiants ce qui est compréhensible, surtout chez des personnes âgées qui ont parfois été victimes de cambriolages. Tout reposait alors sur la confiance que ces patients accordaient à leur infirmière libérale, qu’ils connaissaient souvent depuis des années.

Enfin, il y avait un enjeu particulier avec les hommes âgés. Beaucoup ont du mal à se voir vieillir, à exposer leur corps fragilisé. Il y a là un vrai sujet autour de la virilité et de la perte de contrôle. J’ai été étonné, car dans mes repérages précédents, certains refusaient catégoriquement d’être filmés. Mais dans ce projet, plusieurs ont accepté. Peut-être parce que la confiance avec l’infirmière était très forte, ou peut-être aussi parce que j’étais un homme… En tout cas, cela n’a pas été simple, mais ça a rendu le film encore plus précieux.

👩‍⚕️ Regard sur le métier

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans le quotidien d'une infirmière libérale ?

Au début, ce milieu m’a déstabilisé : les odeurs, la souffrance, les regards. Mais avec le temps, je m’y suis habitué. C’est alors que j’ai réalisé qu’il y avait un véritable récit à raconter. Au-delà de l’aspect physique du métier, ce qui m’a le plus frappé, c’est la réalité qu’elle vit chaque jour. Elle s’occupe principalement de personnes âgées, souvent très isolées. Observer cette solitude qui se répète, patient après patient, est profondément touchant. Ce n’est pas une solitude passagère comme on peut l’imaginer chez un grand-parent, mais une solitude profonde, constante, presque ancrée dans leur vie.

📺 Diffusion du documentaire

Où pouvons-nous voir "La Tournée" aujourd'hui ?

Ce documentaire sera diffusé à la rentrée prochaine à nouveau à Saint Brieuc ainsi qu'en Décembre 2025 sur les chaînes télévisées de Bretagne. Nous sommes en train de réfléchir à une sortie nationale plus large !

Un dernier mot pour conclure, ou un message pour les infirmières libérales qui vous lieront ?

Oui, j’aimerais leur dire une chose. Je sais que votre métier est exigeant, souvent épuisant, et que beaucoup d’entre vous vivent avec une tension nerveuse constante ce qui est tout à fait compréhensible. Je pense sincèrement que si j’étais à votre place, je serais dans le même état. Il faut mesurer ce que vous encaissez au quotidien.

Ce que je voudrais vous dire, c’est : essayez, malgré la fatigue, de créer du lien entre vous en dehors du travail. Pas forcément pour parler boulot vous en parlez déjà beaucoup mais pour partager autre chose, des moments simples, humains, où vous vous retrouvez en tant que personnes, pas seulement en tant qu’infirmières.

Parce que dans le monde de la santé, et pas seulement chez les infirmières, on a tendance à parler en boucle du métier, tellement il est prenant. Il envahit tout. Mais parfois, se retrouver pour boire un verre, pour rire, pour souffler, ça fait un bien fou. Et surtout, ça rompt la solitude. Vous êtes souvent seules dans votre voiture, seules face aux patients, seules dans des situations lourdes. Se retrouver, c’est un moyen d’être moins seules, ensemble. Et ça, ça compte énormément. ET surtout, soyez moins dure avec vous même !

Remerciements

Je tiens vraiment à remercier chaleureusement l’infirmière Eurielle, qui a été essentielle pour moi dans ce projet. Je remercie aussi tout particulièrement ma productrice, Mathilde Renard, pour son engagement sans faille et son implication précieuse tout au long de cette aventure. Ainsi que la société des productions du film Les productions du Cosquer.

Merci à Guillaume Vatan pour ce partage sincère. "La Tournée" est un documentaire nécessaire, qui donne la parole à celles et ceux qui prennent soin, souvent dans l’ombre.

Qu'en pensez-vous ? Vous avez vu ce documentaire ?

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