L’accompagnement des patients en fin de vie demeure être un sujet souvent méconnu et mal compris, alors qu’il est essentiel pour offrir une fin de vie digne et sereine aux patients. Pour nous éclairer sur la gestion de la fin de vie et tout ce qui en découle par la suite, nous avons rencontré Aline, IDEL et anciennement infirmière en soins palliatifs. Après vingt ans d’expériences, Aline partage sa vision humaine et empathique du soin, ses défis quotidiens et l’importance d’accompagner dignement les patients en fin de vie. 👉 Dans cette interview, elle nous livre ses réflexions sur son métier, ses anecdotes marquantes et ses conseils précieux pour les infirmières libérales.
Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les soins palliatifs ?
« Les soins palliatifs visent à optimiser le confort et la qualité de vie des personnes atteintes de maladies graves ou incurables. Ils se concentrent sur toutes les sources de souffrance, qu’elles soient physiques, psychiques, sociales ou spirituelles. On ne parle pas fort dans ces services, on accompagne avec douceur et humanité. Contrairement à ce que beaucoup pensent, les soins palliatifs ne cherchent pas à accélérer ou retarder la mort. Ils respectent le cycle naturel de la vie, en soulageant la douleur et en offrant un soutien psychologique et émotionnel au patient et à ses proches. Il s’agit de vivre chaque moment aussi pleinement que possible, avec dignité et respect. »
Depuis combien de temps êtes-vous infirmière ?
« J’exerce ce métier depuis vingt ans, j’ai travaillé en soins palliatifs ainsi qu’en oncologie et à présent, je suis infirmière libérale. Mon parcours a été riche en expériences humaines, chacune m’ayant apporté une nouvelle perspective sur la vie et la mort. Au fil des années, j’ai développé une approche très personnelle, basée sur l’écoute active et l’empathie, pour comprendre les besoins et les désirs de mes patients. Cette expérience m’a permis de voir que le soin ne se limite pas au traitement médical, mais englobe également le soutien émotionnel et spirituel. »
En quoi consiste l'accompagnement des patients en fin de vie ?
« L’accompagnement de fin de vie consiste à offrir un soutien complet au patient et à sa famille. Cela inclut la gestion de la douleur et des symptômes, le soutien psychologique, social et spirituel, ainsi que l’accompagnement des proches. L’objectif est de garantir une qualité de vie optimale jusqu’à la fin. Concrètement, cela peut signifier être présent pour écouter les peurs et les espoirs du patient, faciliter des moments de réconciliation familiale, ou même organiser des activités qui apportent de la joie et du réconfort. Chaque personne a des besoins uniques, et notre rôle est d’être attentives et de répondre de manière personnalisée à ces besoins. Nous travaillons en étroite collaboration avec une équipe multidisciplinaire pour assurer que tous les aspects du bien-être du patient sont pris en compte.
Malheureusement, en France, il me semble que 22 départements n’ont pas d’unité de soins palliatifs, ce qui signifie que de nombreuses personnes n’ont pas accès à un accompagnement de qualité en fin de vie. Les soins palliatifs permettent de soulager les souffrances et d’apporter un soutien psychologique et social. Ne pas en bénéficier peut rendre les derniers moments de vie très difficiles pour les patients et leurs familles. Les conséquences sont multiples : des douleurs mal gérées, une détresse psychologique accrue, et un manque de soutien pour les familles qui peuvent se sentir démunies et isolées. L’absence de ces unités peut également entraîner une surcharge des services d’urgence et des hospitalisations non nécessaires, ce qui n’est ni bénéfique pour le patient, ni pour le système de santé. Il est nécessaire de développer ces unités pour offrir une fin de vie digne et respectueuse à tous, indépendamment de leur lieu de résidence. »
Avez-vous une histoire marquante de votre carrière dans l'accompagnement de vos patients en fin de vie ?
« Bien sûr. Une patiente nommée Victoire m’a beaucoup appris. C’était ma première année d’études, et elle ne parlait à personne. Après plusieurs jours de silence, j’ai décidé de changer les choses et j’ai décidé de lui raconter ma propre histoire pour essayer de débloquer la situation qui me pesait et me faisait peine. À partir de ce moment, elle a commencé à s’ouvrir et à me parler. Elle m’a expliqué qu’elle avait rencontré plusieurs infirmières avant moi et qu’elle avait l’impression que depuis qu’elle était malade, nous ne la considérions que par des symptômes et que par conséquents, nous ne la faisions exister uniquement à travers sa maladie. En réalité, je me suis rendu compte que Victoire avait besoin qu’on lui rappelle que la vie continue à l’extérieur de l’hôpital. Cette expérience a profondément marqué ma vision du soin et m’a rappelé l’importance de voir chaque patient comme une personne à part entière, avec ses propres histoires, émotions et désirs. Jeannette m’a montré que l’humanité et la compassion sont au cœur du soin, et que notre rôle est aussi de rappeler à nos patients qu’ils sont beaucoup plus que leur maladie. »
Avez-vous déjà assisté à des miracles en soins palliatifs ?
« Non, pas de miracles, mais des améliorations inattendues, oui. Les soins palliatifs ne sont pas seulement pour les personnes en fin de vie. Ils incluent aussi les soins de support pour les personnes en traitement curatif. Par exemple, une personne atteinte d’un cancer peut être prise en charge pour traiter les effets secondaires des traitements. Certains patients peuvent entrer et sortir du service plusieurs fois. J’ai vu des patients, considérés comme étant en phase terminale, récupérer suffisamment pour rentrer chez eux et vivre plusieurs mois de plus que prévu. Ces moments ne sont pas des miracles au sens strict, mais ils montrent la puissance de l’accompagnement palliatif et le rôle crucial qu’il joue dans l’amélioration de la qualité de vie des patients. »
Que faites-vous pour accompagner vos patients en fin de vie au quotidien ?
« Au quotidien, j’écoute beaucoup mes patients et leurs familles. J’essaie de comprendre leurs besoins et leurs désirs pour les accompagner au mieux. Je veille à leur confort physique en gérant la douleur et les symptômes, mais aussi à leur bien-être psychologique en étant présent, en échangeant et en leur offrant des moments de répit et de joie. Cela peut inclure des conversations sur leurs souvenirs, des activités simples comme écouter de la musique, lire un livre ou simplement passer du temps ensemble en silence. Chaque geste compte, et parfois, un sourire ou une écoute attentive peut faire une grande différence dans la journée d’un patient. J’essaie également de créer un environnement apaisant et respectueux, où le patient se sent en sécurité et soutenu. »
Que faites-vous pour préparer vos patients et leur famille au décès ?
« La préparation au décès est une étape délicate, mais essentielle. Pour l’administratif, nous aidons les familles à comprendre et à remplir les documents nécessaires, comme les directives anticipées et les demandes d‘aides financières. Nous les informons aussi sur les démarches à suivre après le décès. Sur le plan affectif, nous encourageons les discussions ouvertes sur la mort et ce qu’elle signifie pour chacun. Nous organisons des réunions avec les familles pour discuter de leurs préoccupations et répondre à leurs questions. Nous offrons également un soutien psychologique continu, en collaboration avec des psychologues et des travailleurs sociaux, pour aider les familles à faire face à leurs émotions. Enfin, nous veillons à ce que les derniers moments soient aussi paisibles que possible, en créant un environnement calme et en respectant les souhaits du patient et de sa famille. »
Que pensez-vous du projet de loi sur la fin de vie autorisant l’euthanasie active en France ?
« Le projet de loi sur la fin de vie est un sujet complexe et délicat. D’un côté, il offre une option supplémentaire pour les patients en souffrance insupportable, leur permettant de choisir leur fin de vie de manière plus autonome. Cependant, cela soulève également de nombreuses questions éthiques et pratiques. Pour les infirmières libérales, cela représente un défi supplémentaire, car elles devront être bien formées pour accompagner les patients et leurs familles dans ce processus, tout en respectant le cadre légal et éthique. Personnellement, je pense qu’il est crucial de garantir un soutien adéquat aux soignants et de veiller à ce que chaque décision soit prise avec le plus grand soin et respect pour la dignité humaine… »
Vous avez une approche très humaine dans votre métier. Comment gérez-vous vos propres émotions ?
« C’est parfois difficile. Nous avons des groupes de parole et des psychologues pour nous soutenir. La poterie et la lecture sont des exutoires pour moi. Cela me permet de m’échapper et de rendre hommage à mes patients et de mieux comprendre certaines situations. Il y a peu, j’ai découvert un livre nommé Constellation, qui est l’histoire d’un infirmier avec un parcours similaire au mien. Ce livre est une échappatoire aussi ! Sinon, j’essaie de maintenir un équilibre entre ma vie professionnelle et personnelle. Passer du temps avec ma famille et mes amis, pratiquer des activités relaxantes et m’accordant du temps pour moi-même sont essentiels pour gérer le stress et les émotions. Il est important de reconnaître ses propres limites et de chercher de l’aide lorsque cela devient trop difficile. Cela permet de rester efficace et empathique dans son travail sans se brûler. »
Comment réagissez-vous face au décès d’un patient ?
« Chaque décès est unique. Parfois, il y a des moments de paix et de soulagement. Par exemple, Pierre, un patient que j’ai accompagné, est décédé entouré de sa famille dans un halo d’amour. Ce sont ces moments intenses et émouvants qui rappellent la beauté de la vie, même dans la mort. D’autres fois, c’est plus difficile, surtout si la personne était jeune ou si elle laisse derrière elle des proches en grande détresse. Dans ces moments, je prends le temps de me recueillir, de réfléchir à ce que j’ai appris de cette personne et de me rappeler que j’ai fait tout ce que je pouvais pour rendre ses derniers moments aussi paisibles que possible. Le soutien de mes collègues et la possibilité de partager nos expériences et nos émotions sont également cruciaux pour faire face à ces pertes.
Gérer la fin de vie : une tâche compliqué en tant qu'IDEL ?
Je repense souvent à Gisèle, une patiente au grand cœur qui m’a marqué à jamais. C’était une maman d’une cinquantaine d’années, touché par un cancer généralisé. Elle avait 4 enfants dont une fille d’une vingtaine d’années qui tout au long de la prise en charge de sa fin de vie m’expliquait que sa maman était une femme pleine de vie, joyeuses, drôle et que la voir dans cet état était quelques chose d’inimaginable pour elle. Sa mère l’entendant me raconter cela à essayer de se battre contre la maladie pour garder la face et donner ses dernières forces à sa fille tout au long de sa fin de vie… Aujourd’hui, je suis encore très proche de cette famille qui a su m’écouter et me faire de la place au sein de leur famille… Nous avions créé de fort liens, car malgré sa maladie et son état sans issus possible, cette femme tenait à rester forte et une femme pleine de vie. Elle tenait à ce que je sois intégré à sa famille. Il faut dire que cette famille avait grand cœur car le jour de l’enterrement, j’ai pu rencontrer la famille et tous les amis de cette femme qui eux aussi m’incluaient dans leur grande famille et c’est pour ça que mon métier est beau ! »
Avez-vous des conseils pour les infirmières libérales qui accompagnent des patients en fin de vie à domicile ?
« Oui, écoutez vos patients. Chaque personne est unique et a des besoins spécifiques. Prenez le temps de les connaître et de comprendre leurs souffrances. Utilisez vos compétences professionnelles, mais n’oubliez pas l’aspect humain. Soyez présentes et bienveillantes. Enfin, n’hésitez pas à chercher du soutien auprès de vos collègues et des professionnels de santé mentale. Vous n’êtes pas seules. Travailler à domicile peut être particulièrement isolant, donc il est essentiel de créer un réseau de soutien, que ce soit par le biais de groupes de discussion en ligne, de formations continues ou de réunions régulières avec d’autres professionnels de santé. Il est également important de prendre soin de soi, de faire des pauses régulières et de ne pas hésiter à demander de l’aide lorsque cela devient trop difficile. »
Un grand merci à Aline, qui a accepté de se livrer sur ce sujet parfois compliqué. Si vous aussi vous souhaitez partager votre quotidien n’hésitez pas à nous faire signes !