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S’installer comme IDEL en Polynésie

idel en polynésie

Sophie est infirmière libérale en Polynésie sur l’île Raiatea, considérée comme la terre originelle, entre Bora Bora et Tahiti. Ça fait rêver hein ? 😊 Active sur Instagram, elle a accepté de participer à notre Live Happy IDEL où elle nous fait découvrir son quotidien en libéral en Polynésie française.

Cette interview est retranscrite de l’émission Live Instagram « Happy IDEL » du mercredi 9 juillet 2020 diffusée sur le compte Entre Infirmière Libérales.

Changer de vie : d’infirmière à la métropole, à IDEL en Polynésie

Comment as-tu rejoint cette île de Polynésie ?

J’ai rejoint cette île il y a quinze ans. Je suis originaire de Villeurbanne et c’est ma mère qui a eu le coup de foudre pour cette île lorsqu’elle y est allée en vacances en 1993. Un an après, c’est l’une des premières infirmières libérales à s’être installée sur l’île. Petit à petit le soin à domicile a bien fonctionné. Après quelques années, elle ne trouvait pas d’infirmier remplaçant fixe. Il y en effet beaucoup de gens de passage ici, des « voileux », des gens qui font le tour du monde, des expats…

On était déjà venus en famille lui rendre visite en vacances et à force de me titiller, je suis venue la rejoindre pour travailler avec elle. Je n’étais pas du tout prête à vivre sur une île. J’étais infirmière en psychiatrie depuis 15 ans. En arrivant sur l’île, je n’avais aucune expérience dans le libéral : facturation, AMI, tout ça… je ne connaissais rien. Je ne connais pas non plus le libéral en métropole.

Ce qui m’a vraiment plus ici, c’est l’esprit « petit village », l’humain l’emporte. Le fait de faire des soins techniques ne m’intéresse pas autant que la relation, le contact. Et j’ai trouvé cela sur cette petite île.

Et côté famille, est-ce que l’adaptation a été facile à ce changement de vie ?

Nous sommes arrivés à cinq. Parmi mes trois enfants, deux avaient 3 ans et 10 mois, l’adaptation a donc été facile. En revanche pour ma jeune de 15 ans, à l’époque cela n’a pas été l’âge facile pour bouger. A l’époque, internet coûtait très cher, c’était difficile de chatter avec ses amis sur MSN, on la limitait. Au début on était content de changer nos habitudes, on mange du poisson cru matin, midi et soir. Puis à des moments tu as envie de ton fromage… 😊 Sinon on est rentré assez souvent en métropole, une fois par an à peu près. Aujourd’hui, je ne regrette pas ma vie d’avant. Je suis heureuse ici !

Comment se composent les paysages de l’île ?

Quand on parle de la Polynésie française, on pense à Tahiti (j’habite à 200 km) et Bora Bora (à 40km). On peut rejoindre l’île en avion. L’avion c’est notre train, notre bus à nous. Certains l‘utilisent tous les jours, c’est notre quotidien.

L’île c’est vraiment le paysage de carte postale qu’on imagine : des cocotiers partout, de la végétation, de magnifiques plages… Le contour de l’île fait 90 km. Nous avons une route qui fait tout le tour et une route qui traverse l’île. On ne peut pas trop se tromper. Je longe toute la côte Est sur mon secteur, car nous sommes plusieurs IDEL a nous partager l’île. Ma route longe la mer le temps de ma tournée. Chaque jour c’est magnifique, c’est plus beau que sur le périph ! 😉

Le quotidien d’une infirmière libérale en Polynésie

Tu es venue au libéral par hasard, mais qu’est-ce qui t’a fait y rester ?

Je ne me serais jamais vu faire du libéral. J’étais focalisée sur la psychiatrie et finalement ici j’ai trouvé un milieu très agréable. Je fais des choses ici que je ne ferais peut-être pas en métropole, ou en grande ville. Aller chercher des courses en ville, retirer des sous pour certains patients… je le fais au feeling, c’est le plus important. C’est la relation et le contact humain avec les patients qui me plaisent.  

Comment se passent tes tournées de soins sur l’île ?

Je fais une boucle lors de ma tournée. Pour trouver les adresses de mes patients, on se parle en points kilométriques qui sont définis par des bornes. On peut indiquer habiter côté mer ou côté montagne. Eh oui, nous n’avons ni numéro, ni adresse. Quand j’ai un appel pour un nouveau patient, certains ne connaissent pas leur borne, alors là, tu demandes à la personne quels sont les lieux publics, des abris bus à proximité de chez elle. On se repère comme ça. On peut faire Koh Lanta, on est rodés ! Et si on ne voit pas où c’est, on accroche un paréo au bord de la route, ou on place un adulte ou un enfant qui attendent au bord de la route… 😊 On peut aussi demander le nom des voisins, car on connait tout le monde. Ici le rythme est complètement détendu, il n’y a pas de stress.

En moyenne, j’ai une trentaine de patients matin et soirs. J’ai moins de monde le soir avec des insulines, ou quelques pansements. Cela arrive que mes patients ne soient pas au rendez-vous, cela veut dire qu’ils sont soit à la pêche, ou dans leur serre pour polliniser la vanille, qui nécessite de la rapidité à un moment précis, c’est très fragile. Donc on s’arrange…

Je commence à 6h00 du matin pour le premier patient. Sur d’autres îles, je sais que des IDEL commencent à 4h30, par exemple. Je finis vers 12h30/13h00. Ma tournée du soir est de 16h30 à 18h30/19h00 maximum.

Y’a-t-il beaucoup de cabinets sur l’ile ?

Sur notre île, on est tous conventionnés avec des infirmiers remplaçants attitrés. Le statut de collaborateur n’existe pas. Tu es soit conventionné, soit remplaçant et tu peux être remplaçant sur du long terme sans problème. J’ai deux remplaçants de mon côté.

On est cinq infirmiers libéraux conventionnés sur l’île. Le nombre d’Idel est gelé sur certaines îles. Ici, soit, tu achètes une convention sur place, soit tu attends. Sur d’autres îles, les conventionnements sont libres, mais elles sont plus éloignées et je ne sais pas s’il y a assez de population pour exercer et en vivre. Il y a aussi des îles où il n’y a pas de médecin installé, ça veut dire pas de prescription, donc pas de soins. Enfin, on a des îles avec des dispensaires où un seul super-infirmier fait tout. Il a juste une liaison téléphonique avec un médecin, mais c’est tout : en mode téléconsultation, ils peuvent faire des sutures, des accouchements s’il y a besoin… le temps qu’un SMUR arrive.

Pendant la période Covid, avez-vous recouru à la téléconsultation ?

Je sais que cela s’est fait sur Tahiti, car on a beaucoup de patients diabétiques, c’est le grand mal du pays. En Polynésie, il y a beaucoup de gens en insuffisance rénales donc beaucoup de gens sous dialyse. Si quelqu’un sur notre île doit faire une consultation pour ces pathologies, il fera sa consultation sur Tahiti. Pour ces patients, notre système prend en charge à 100% son EVASAN (évacuation sanitaire). Cela comprend l’avion, l’hébergement, la consultation en centre hospitalier de Papeete. C’est assez lourd, car l’hôpital de notre île ne comporte pas tous les services. Avec le Covid, tout était fermé – même si nous n’avons pas eu de cas – donc plus d’avions et ces gens ont du faire des téléconsultations.

As-tu des anecdotes de tournées que tu ne pourrais vivre qu’en Polynésie ?

Tu peux faire des prises de sang au bord de la route, dans des maisons très vétustes, sans fenêtre. Donc il faut s’adapter, faire au mieux, au maximum. Souvent j’interviens en extérieur, car il fait trop chaud dans les maisons. Nous avons des maladies tropicales et pas mal de nécroses. Les petits bobos, flambent très vite comme il fait chaud et humide. Même un petit bouton de moustique gratté, ça peut finir en abcès et au bloc opératoire…  

Sinon, dans le genre insolite, j’ai vu une plaie qui a nécrosé à la suite d’une morsure de barracuda… Ou encore, une femme qui nettoyait son poisson sur la plage – ce qu’il ne faut jamais faire, car cela attire requins et murènes – et elle s’est fait mordre le doigt par une murène. Ce genre de plaie est très sale, car ces poissons ont les dents pointues.

Est-ce que tu prodigues des soins aux touristes de passage sur ton île aussi ?

Je n’en vois pas beaucoup. Ici, les touristes ne sont pas pris en charge, car nous n’avons pas la même sécurité sociale. Chez nous la CPS, c’est la Caisse de Prévoyance Sociale (et pas la Carte de Professionnels de Santé), c’est notre CPAM. Nous sommes un territoire d’Outre-Mer, un pays autonome avec certaines lois de pays. On a la loi française et certaines administrations sont indépendantes, même si elles sont subventionnées par la France. Je suis donc assurée à la CPS, et c’est elle qui me paye en francs pacifiques. Oui, on n’est pas passés à l’euro !

Un système de santé polynésien différent de la métropole

Les actes de soins, la nomenclature sont les mêmes ?

Notre nomenclature est à peu près pareille. Vous avez la NGAP, nous on a la NPAP, polynésienne. Cela ressemble : AMI, AIS, pansements… tout pareil. On a eu récemment la MAU et la MCI. On a eu la nouvelle cotation des perfusions en 2019. Côté indemnités kilométriques, on nous les avait déjà réduites auparavant et on a relevé le barème il y a peu. Je fais partie des deux IDEL de l’île qui font de la route, je me déplace beaucoup.

Vous avez un syndicat ?

Oui, un seul sur Tahiti ! On ne le voit pas trop, mais on communique par email. Il est dans les instances et nous défend.

Comment se passe ta facturation ? Ce système est-il différent de la métropole ?

Il y a quinze ans quand je suis arrivée, c’était sur papier uniquement. Ma mère notait tout sur feuille libre. On est ensuite passés sur tableur Excel et à l’ordinateur. Maintenant on a un logiciel de télétransmission. On a deux éditeurs de logiciel infirmiers en Polynésie. Sur Raiatea, on a tous le même, on paye juste les mises à jour. D’ailleurs ! On a un numéro de sécurité sociale qui ressemble à une série de chiffres au hasard, très dur à se rappeler. Ce n’est pas comme en France. Sympa pour faire les ordonnances… Je ne connais toujours pas le mien ! 😊

Est-ce qu’en tant qu’infirmière libérale tu vis bien en Polynésie ?

Oui, on n’a pas à se plaindre, on a une bonne rémunération. Quand tu as une tournée de soins classique avec 30 patients, c’est largement suffisant. On a aussi beaucoup moins de charges. On a notre assurance maladie, (ici l’hospitalisation est prise en charge à 100%, pas de forfait journalier) elle correspond à un pourcentage de notre chiffre d’affaires, j’ai mon assurance professionnelle classique, une adhésion obligatoire au conseil de l’Ordre des Infirmiers et j’ai une patente pour exercer en tant qu’IDEL (c’est impôt que l’on paye à la commune pour exercer comme indépendant). Côté impôts, j’en paye beaucoup moins qu’en métropole et je ne suis pas obligée de cotiser à la CARPIMKO (je peux assurer ma retraite comme je l’entends). Je vis plutôt bien, oui, malgré le coût de la vie qui est élevé.

Y’a-t-il une couverture en soins techniques suffisantes en Polynésie ?

A Papeete nous avons un IFSI qui forme une trentaine d’étudiants par promo. Cela ne suffit pas à couvrir tous nos besoins. Nous avons : un grand centre hospitalier sur Papeete, des cliniques privées, un hôpital chez nous, un centre de dialyse et un autre hôpital aux îles Marquises, des dispensaires sur pas mal d’îles. Beaucoup de gens arrivent de métropole. Par contre on n’est pas titularisé de suite, c’est à coup de contrat, il faut donc tenir plusieurs mois, patienter, avoir de la trésorerie pour vivre sur les îles ou la vie est assez chère.

Est-il encore possible de venir s’installer comme toi en Polynésie ? Si oui, que conseilles-tu ?

Postuler de métropole, c’est compliqué. Les candidatures spontanées de ce type finissent bien souvent à la poubelle. Il faut être sur place pour trouver du travail en tant qu’infirmier à l’hôpital ou en dialyse, c’est possible.  

En tant qu’Idel, il faut : soit trouver une convention, soit un remplacement infirmier. Et il vaut mieux avec des contacts. Exemple, j’ai une ancienne stagiaire – son mari est originaire de l’île – qui est revenue sur l’île, elle m’a contactée pour savoir si j’avais besoin d’une remplaçante, et je lui ai dit oui.

Des fois, on voit des offres de convention à vendre, mais cela est très rare. Elles sont souvent proposées au cercle proche ou au remplaçant et elles sont généralement prises.

Cela peut arriver pour certains d’arriver et d’avoir un coup de chance, ils arrivent au bon moment. Il faut donc une trésorerie d’avance pour tenir quelques mois pour pas ne pas se retrouver à la rue.

Mais si vous ne venez pas pour travailler, venez en tant que touriste ! 😊

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