L’actualité récente a été marquée par diverses agressions subies par les infirmières libérales, de la part de leur patient. Confrontées à des personnes désespérées, malades, le comportement à adopter n’est pas toujours évident. Fort heureusement, tous les patients ne sont pas violents, mais certains sont jugés « difficiles » tant au niveau de leurs comportements, que dans leurs demandes saugrenues. ? Qu'est-ce qu'une prise en charge difficile ? Comment prévenir l'agressivité d'un patient ? Quel comportement doit être adopté face à ce type d'événement ? On fait le point avec vous sur la gestion des patients difficiles dans cet article !
Des agressions de plus en plus fréquentes
Un patient difficile n’est pas forcément synonyme de patient dangereux, mais malheureusement, les violences subies par les IDEL sont croissantes au cours des derniers mois. Le décès d'une IDEL à Strasbourg dans le cadre de son exercice, l’agression de Jeanine, IDEL dans l’Hérault et le témoignage de Marie-Françoise, IDEL en Bretagne, agressée par un de ses patients, montrent qu’il faut faire preuve de la plus grande vigilance vis-à-vis de certaines personnes.
Tous ces événements tragiques agitent le débat autour des conditions d’exercice des IDEL, et il est nécessaire d’en parler pour faire évoluer les choses !
En 2024, l’Ordre National Infirmier (ONI) a recensé plus de 1 200 signalements d’agressions contre des IDEL, en hausse de +18 % par rapport à 2023. Cette hausse a conduit à la mise en place de dispositifs concrets dans plusieurs régions :
- Des boutons d’alerte intégrés dans certaines applis métier IDEL.
- La possibilité de déclencher un partage de localisation en temps réel avec les collègues.
- Un protocole simplifié pour signaler un patient dangereux à l’ONI ou aux autorités locales.
Qu'est-ce qu'un patient difficile ?
On considère un patient difficile et/ou une prise en charge comme étant "difficile" suite à des demandes abusives et certains comportements :
- Des réflexions comme "Vous êtes en retard", "Vous arrivez trop tôt aujourd'hui", "Vous faites mal mon pansement", "Vous êtes toujours en vacances", mais aussi des réflexions sexistes ou encore racistes.
- Des maladies imaginaires comme par exemple quand une patiente voit des plaies là où il n'y en a pas et qu'elle insiste pour un soin qui n'est plus prescrit.
- Des dépendances
- Des insultes
- De la violence
- De l'agressivité
- Une distance patient-soignant non respectée : lorsqu'un patient a l'habitude de vous voir (patients chroniques), la proximité fait parfois tomber des barrières et entraîne des demandes abusives et des réflexions déplacées.
On parle aussi de prise en charge abusive notamment lorsque le patient insiste voir exige que ses soins soient prodigués à certaines heures abusives (par exemple 5h du matin et 21h le soir). Il ne faut pas oublier que l'infirmière libérale aussi a une vie personnelle et qu'elle a aussi besoin de repos ! Julien précise d'ailleurs lors de la conférence que les IDEL "se transforment en Uber-Soin"... par rapport aux heures demandées qui sont parfois abusives.
Il arrive également que la famille du patient complique la prise en charge : mépris, réflexions… L'entourage est très exigeant, surtout les enfants de personnes âgées qui surveillent parfois sans limites (harcèlement, menaces…). Certains veulent seulement s'assurer que vous prodiguez les meilleurs soins pour leur proche quand d'autres vont avoir beaucoup de mal à faire confiance. Entamer une vraie discussion avec eux peut donc les rassurer.
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Prise en charge difficile : les conséquences ?
Certaines infirmières libérales arrivent très bien à gérer les prises en charge difficiles. Mais pour d'autres, cela peut vraiment jouer sur le moral entre stress, angoisse et fatigue qui s'accumule. Ces situations peuvent être très mal vécues. Les IDEL vont redouter les tournées où elles doivent prendre en charge certains patients difficiles. Cela crée un cercle vicieux qui détériore petit à petit la relation patient/soignant et l’issue est bien souvent l’arrêt de la prise en charge du patient en question.
En 2025, les syndicats infirmiers alertent également sur les risques accrus de burn-out dans ces situations. L'URPS a mis en place une cellule psychologique gratuite d’écoute pour les IDEL en détresse, ainsi qu’un accompagnement à la reconversion ou à la médiation si besoin.
Pourquoi les patients sont agressifs ou violents envers les infirmières libérales ?
Les violences et incivilités sont partout et ne sont pas spécifiques aux infirmières libérales. Cependant, dans le cadre de soins à domicile, celles-ci peuvent venir :
- d'un manque de soutien social (patients isolés) ;
- d'une frustration quelconque (refus de se faire soigner…) ;
- de la douleur ;
- de la peur (de l'inconnu, peur d'avoir mal, peur suite à une opération), d'une anxiété ou d'un manque de confiance ;
- de troubles psychiatriques ;
- d'une précarité ;
- d'une dépression ;
- de l’alcool, drogues, médicaments psychotropes…
De plus en plus de situations sont aussi liées à des troubles cognitifs non diagnostiqués chez les personnes âgées, ou à des ruptures dans le parcours de soins (retour d’hospitalisation sans coordination, rupture de traitement…). En 2025, la coordination avec les psychologues en ville devient un levier fort pour désamorcer certaines tensions.
Comment prévenir l'agressivité d'un patient difficile ?
En cas de prise en charge difficile d'un patient, posez-vous les bonnes questions : quel type de patient ? Pour quel soin ? Quel a été l'élément déclencheur ? Comment avez-vous réagi ? Analysez la situation à froid et identifiez les solutions et réactions à mettre en place. Autrement, n'hésitez pas à :
- mettre un terme rapidement au soin (même non terminé) si vous sentez que le patient commence à s'énerver.
- discuter avec vos collègues de tournée ou d’autres IDEL, ou le médecin traitant, du patient dont l’attitude vous inquiète.
- adapter votre communication en fonction du patient.
Quel comportement adopter face à un patient difficile ?
Dès que le patient franchit les limites de ce que vous pouvez accepter, réagissez à ses propos et n'hésitez pas à le "recadrer". Il est plus difficile d’exprimer son mécontentement lorsque le patient est simplement un peu trop « présent » ou essaye d’exercer une certaine pression psychologique (nombreux appels, nombreuses exigences, comportement à la limite de la tyrannie).
L'infirmière libérale a toujours un droit de retrait. Vous n'avez aucune obligation à continuer un soin et vous n'avez pas besoin de motif grave pour l'interrompre. Si vous ne le sentez pas, le mieux sera d'arrêter la prise en charge avant le clash, n'attendez pas que la situation s'envenime (agressivité, violence…).
Par contre, vous ne pouvez pas laisser un patient du jour au lendemain, c'est interdit, sauf s'il y a eu des violences ou s'il y a un danger pour vous. Si vous souhaitez interrompre les soins pour une autre raison, vous devrez alors effectuer quelques démarches et justifier un motif (professionnel ou personnel). D'abord, vous devrez écrire une lettre en expliquant (sans rentrer dans les détails) que vous souhaitez arrêter le soin et que vous laissez 15 jours à votre patient pour trouver un autre cabinet. Vous devrez aussi fournir une liste des infirmières dans la région. Ceci doit être envoyé au patient, éventuellement à sa famille, ainsi qu'à l'Ordre Infirmier pour que vous soyez vraiment tranquille. Une fois votre remplaçante trouvée, vous devrez lui transmettre le dossier du patient.
Comment interrompre la prise en charge d'un patient difficile ?
Avant d'en arriver là, voici quelques pistes de comportement à adopter :
- Évaluez le risque et/ou la dangerosité : si le risque semble trop élevé, n'allez pas à votre rendez-vous seule.
- Ne forcez pas le soin, revenez plus tard si possible.
- Questionnez le patient sur un besoin éventuel peut l'amener à la réflexion.
- Prévenez vos collègues, racontez-leur rapidement la situation pour avoir leur soutien, n'hésitez pas à prendre des notes.
- Participez à des formations DPC.
Face à un patient difficile, il est parfois difficile de garder le cap, mais vous n’êtes pas seule. Vos collègues, votre Ordre, les syndicats, les plateformes de coordination, les dispositifs d’alerte, les formations DPC : tout un écosystème existe aujourd’hui pour vous soutenir et vous protéger. Le reconnaître, c’est déjà reprendre un peu de pouvoir sur la situation. Et parfois, en parler suffit à libérer la parole et à éviter l’isolement.
Avez-vous déjà eu des patients compliqués ? Quelles sont vos astuces ou vos limites personnelles pour gérer ces situations ?
Réponse au commentaire d'Ellebore: c'est exactement ce qui est arrivé à ma collègue et moi. une fille appelle pour la prise en charge urgente de ses parents, soit disant la dame sort d'hospit. Aides à domiciles en place, c'est urgent, elle même Aide soignante s'occupe de ses parents mais ne peut plus depuis l'aggravation de sa mère Alzheimer. On refuse, on est complètes et c'est un peu hors de notre secteur. Elle rappelle tous les jours plusieurs fois par jours en suppliant pour au moins un passage par jour, elle gèrera le reste. Je le sens mal, pas normal qu'elle ne trouve pas. Ma collègue finit par craquer, elle accepte un passage et là commence notre malheur. Des mois de harcèlement, une fois en place, on découvre une famille tyrannique qui exige les 3 passages aux heures prescrites par leur généraliste (ami de longue date de la famille). L'autre fille est présente à presque tous les soins et critique tout, se mêle de tout. On est parfois appelée entre deux soins pour des BS prescrits à distance par la toubib et il faut venir tout de suite quand la fille est là. j'ai fait mon soin un jour de la mère agitée et agressive au possible avec la fille me hurlant dessus tout le long me traitant de tout les noms parce que j'ai dit que je ne forcerai pas sa mère à faire la toilette intime au lit, elle me tapait, griffait et hurlait "au viol" en serrant les cuisses pour que je n'enlève pas sa protection. elle me dit je la bloque et vous le faite quand même. je refuse, elle entre en furie et hurle autant que sa mère. Elle ferme la porte pour m'empêcher de partir. J'ai du faire le change et la toilette, sous les insultes des deux (seule la maman est excusable) j'ai pris des coups, des griffures, cheveux arrachés. Ma collègue et moi harcelées au téléphone par cette hystérique. Nous avons voulu mettre fin à la prise en charge mais leur amie toubib a prescrit des perfs d'hydratation (non justifiées car la dame mangeait et buvait sans problème) juste pour nous coller des soins "techniques" impossibles à interrompre. Nous avons suivi la procédure : lettre RAR, liste des cabinets, info médecin, sécu etc... nous avons du continuer plus de 3 mois car aucun cabinet ne voulait intervenir, ils étaient connus comme le loup blanc sur leur secteur et avaient épuisés toutes les IDELS. un calvaire. Finalement la fille AS (moins débile que l'autre) a fini par demander à la sécu qui a autorisé un service de soins à domicile de faire 50 bornes /trajet pour venir faire les soins. C'est bien joli tout ça mais c'est que de la théorie, on doit se débrouiller seule. Suite à cet enfer, ma collègue a fait un burn out et a cessé son activité. J'ai continué seule quelque temps puis j'ai arrêté aussi, épuisée. voilà le résultats. Bosse, paye et tais toi.
Je suis bien d'accord avec Christine. Merci pour cet article plein de bons conseils. Cependant il manque une notion fondamentale en 2022 et une règle qui a été rajoutée au texte ordinal assez récemment : l'obligation de l'infirmier de trouver un autre professionnel pour assurer la continuité des soins et cette reprise doit être "effective". Donc, dans le cas d"un patient difficile pervers et irrespectueux qui a déjà écumé tous les cabinets alentours et qui est connu comme la peste noire, la pauvre professionnelle fraîchement installée dans le coin qui ne connaît pas les patients et qu'i s'est faite malencontreusement "avoir" reste prisonnière de cette galère jusqu'à la dépression et au burn out ?
Comment ça se passe lorsqu’on ne trouve pas de cabinet pour prendre le relais avec un patient difficile ? Doit on arriver jusqu’au burn out ?